Présence
« Au lieu de dériver le subtil comme une forme abstraite du tangible, nous dérivons le tangible comme une forme abstraite du subtil. »
David Bohm, physicien
« La forme est venue de ce qui est sans forme et y est retournée. »
Rumi, poète persan
« Le Tao est comme un bol vide que nul usage ne comble, un Sans-fond dont toute chose a tiré son origine. »
Tao-tê-king
Avant-propos
Je porte en moi cette conviction à savoir que le scientifique par sa méthode empirique, l’artiste par sa démarche poétique et le mystique par sa quête spirituelle, après avoir navigué le domaine des vérités primordiales, débarqueront sur une même rive et pourront se reconnaître entre-eux.
Genesis I a été pour moi, l’occasion d’une première rencontre entre l’art et la science où j’ai pu développer une iconographie née du contact de deux formalismes, l’un pictural et l’autre quantique.
Genesis II reprend cette iconographie pour faire ressortir et ressentir les qualités émergentes d’un Univers en évolution. La poésie de l’image y est proposée comme instrument de recherche valable et même privilégié.
Genesis III explore plus avant la science orientale de la pensée et de la conscience et devient l’occasion d’une méditation sur la portée cosmique du voyage intérieur. La nécessité de la conscience associée au processus scientifique abordé dans Genesis I trouve sa conclusion lors des expériences de méditation de Genesis III. Car comme l’explique le physicien philosophe allemand Carl Friedrich von Weizsäcker:
« … la réalité de la science et la réalité de la méditation sont, à l’origine, la même réalité et l’unité de la nature que la science nous révèle au terme de son processus est un reflet de l’unité qui est vécu dans la méditation.»
Genesis III : Présence
L’ontologie contemporaine, cette vision de la réalité qui sert de toile de fond à l’existence, semble trouver sa source au confluent de la recherche scientifique et de la pensée orientale. Ici, la réalité sous-jacente à toute chose est dépeinte comme un espace continu et indéterminé, un médium dynamique, une vacuité chargée de potentialité. Impossible à connaître directement, cette réalité traduit sa présence par les fluctuations qui en émanent, à la manière d’un miroir rendu visible uniquement par les reflets qui l’habitent.
Ces fluctuations sont des états d’excitation d’un espace qui se soulève et s’effondre sur lui-même comme les replis d’un océan de turbulence. Suspendues la durée d’une observation, elles n’existent que par l’intermédiaire d’une mesure et donc d’un acte volontaire de la conscience. La conscience devient donc une partie essentielle du processus.
Par l’action de la conscience ma présence au monde s’enrichit d’une qualité participative et le geste créateur se révèle porteur d’une dimension universelle. Cézanne disait que le paysage se pensait en lui et qu’il en était la conscience.
L’artiste devient chaman captant les reflets d’un univers dévoilant une évolution ponctuée de subtiles qualités émergentes et dont les images agissent comme des silences chargés d’intériorité. Il est le médium où s’établit une correspondance entre le dedans et le dehors des choses, celui qui opère un réenchantement de la réalité.
Les œuvres présentées ici sont des champs contemplatifs témoignant d’une présence que le mental ne peut comprendre mais qui nous habite et que nous pouvons rencontrer ne serait-ce que le temps d’un regard.
Les œuvres
Avant de chercher à devenir
Ce que vous êtes véritablement
Vous devez sortir
Ce que vous n’êtes pas.
Vous n’êtes pas
Ces opinions reçues,
Ces pensées tournoyantes,
Ces sentiments changeants,
Cet ego isolé.
Mais alors, vous êtes quoi?
Vous découvrirez
Que lorsque vous délaissez
Ce que vous n’êtes pas
Les oiseaux perchés aux arbres
Vous chantent : je suis Cela,
L’eau du ruisseau
Vous murmure : je suis Cela,
Le soleil et la lune
Sont pour vous des phares
Qui illuminent : je suis Cela.
Et que vous habitez
Toutes les choses de ce monde
Et que toutes les choses de ce monde
Vous habitent.
Shantanand Saraswati
Comme pour le poème de Shantanand Saraswati, les œuvres de Genesis III représentent des moments privilégiés le long de l’itinéraire de ce voyage intérieur où nous explorons la nature de notre propre conscience. Les œuvres de Genesis III constituent donc un trajet d’aller-retour à la recherche de la véritable nature de la conscience.
À travers les œuvres de Genesis III nous aborderons la conscience comme le contenant de mon expérience dans La plénitude du Vide, comme contenu de mon expérience dans La modulation de la Conscience et comme activité de connaissance de mon expérience dans Le visage de la Présence.
La plénitude du Vide
Comme un miroir qui accueille sans aucune réserve les reflets du moment présent, je suis la plénitude du Vide.
Dans l’œuvre La plénitude du Vide, l’examen de la conscience débute par une question : Qui suis-je? Cette question exige moins une réponse que la transformation de celui ou celle qui pose la question et elle n’est pas sans rappeler l’aphorisme Connais-toi toi-même. Elle initie un mouvement de l’esprit tourné vers l’intérieur qui observe ma façon de recevoir la réalité, elle cherche la source de mon expérience qui est antérieure à tous jugements, opinions ou préjugés. Elle fait de moi un témoin désengagé, porteur d’une acceptation inconditionnelle de mon expérience de la réalité. La formulation suivante m’est apparue utile lors de la méditation :
Tout ce qui existe simplement existe.
Tout ce qui se produit librement se produit.
Tout est parfaitement tel qu’il est.
La modulation de la Conscience
Comme un miroir qui donne forme aux reflets du moment présent, je suis la modulation de la Conscience.
Les œuvres suivantes intitulées La modulation de la Conscience suggèrent que je ne suis pas uniquement le témoin de mon expérience mais que j’en suis aussi le créateur. Tout comme les yeux ne perçoivent que la lumière réfléchie sur les objets et non les objets eux-mêmes, seuls des actes de conscience peuvent meubler la conscience.
Il devient donc possible par une pratique qui se nomme en Occident la via negativa ou la voie apophatique et en Orient, Neti Neti, la pratique du je ne suis ni ceci, ni ceci de parvenir à une conscience sans objet.
Alors Qui-suis-je? Je suis ce qui reste lorsque j’ai éliminé tout ce que je peux nommer car c’est l’activité de mon esprit qui me voile ce que je suis vraiment. L’espace, le temps et tout ce qui les habite, sont mes propres créations.
Je suis ici, je suis toujours ici.
Je suis maintenant, je suis toujours maintenant.
Je suis le moment présent vivant l’expérience du moment présent.
Le visage de la Présence
Comme un miroir qui se reconnaît en tant que reflets du moment présent, je suis le visage de la Présence.
Parvenu à la limite de la démarche d’épuration et devenu sensible à l’activité de la conscience, je peux maintenant effectuer un retour à la réalité des phénomènes perçus à travers une vision renouvelée. La fragmentation dissipée, la réalité est devenue un ensemble unifié. La division sujet/objet a été dissoute.
Cette pratique, où la réalité est perçue comme un seul ensemble sans limitation, se nomme en Occident la via positiva ou la voie cataphatique. L’Orient exprime cet état par la formulation Tat Tvam Asi, je suis Cela. Seule l’Unité existe.
L’œuvre Le visage de la Présence invite le spectateur à vivre cette transformation, à unifier ce qui semble fractionné et à devenir par le fait même, l’unique Présence.
L’Unité ne connaît pas de lieu, il n’y a nulle part où aller.
L’Unité ne connaît pas de temps, il n’y a rien à faire.
L’Unité ne connaît qu’elle-même, il n’y a personne qui être.
J’AI ÉCOUTÉ
ET J’AI REGARDÉ
LES YEUX GRANDS OUVERTS
J’AI DÉVERSÉ MON ÂME
SUR LE MONDE
CHERCHANT L’INCONNU
AU COEUR DU CONNU.
ET JE CHANTE TOUT HAUT
REMPLI D’ÉMERVEILLEMENT.
Rabindranath Tagore